Présentation
Ma peinture est résolument non-figurative.
Elle est aussi exploratoire : je me promène en musardant, à tâtons, dans le champ des couleurs et des valeurs, à la recherche de sensations, d’émotions, de surprises.
Le maniement du pinceau étant plutôt de nature à m’effrayer, j’ai choisi de « peindre » avec du papier, avec des morceaux de papier chargés de couleurs. En fait je fais des taches (encre de Chine, jus de couleurs acryliques) sur du papier, le plus souvent du papier de riz, très absorbant, et ces papiers, découpés, déchirés, me servent de matériau, de tesselles en quelque sorte, pour « composer », par juxtaposition.
On m’a demandé il y a quelques temps de réaliser des tableaux de plus grandes dimensions. C’était un défi pour moi car je ne suis a priori pas à l’aise avec les grands formats. C’est là que m’est revenu le souvenir du nombre « Phi », le Nombre d’Or, et j’ai eu l’idée de réaliser non pas un grand tableau, mais deux plus petits, associés en un diptyque asymétrique : un carré jouxté d’un rectangle vertical de même hauteur, selon la proportion donnée par le nombre Phi (1,618…). Ainsi, si la hauteur du tableau final est 1, la largeur totale est 1,618, et de facto la largeur du petit rectangle se trouve être 0,618. Et celui-ci est subdivisible selon le même système. C’est ainsi que j’ai été amené à construire par la suite des polyptyques à quatre éléments, ou plus.
C’est en travaillant avec ce nombre d’or que j’ai rencontré la suite de Fibonacci, et surtout l’élégante courbe en spirale, en colimaçon, que l’on peut construire à partir de cette série de nombres aux propriétés incroyables. Il s’agit d’une suite de nombres entiers positifs commençant par 0 et 1, et ainsi définie : le nombre suivant est la somme des deux précédents. Donc : 0 – 1 – 1 – 2 – 3 – 5 – 8 – 13 – 21 – 34 – 55 – 89 – 144 – 233 …etc…etc… Et si l’on divise le dernier nombre obtenu par le précédent, on se rapproche, plus on va loin dans la série, de ce fameux 1,618…, le Nombre d’Or ! Bon ! Je n’ai rien inventé, tout cela est connu depuis fort longtemps : le Nombre d’Or est connu depuis l’Antiquité (Euclide, 300 av. J-C), et Leonardo Fibonacci a vécu au XIIIe siècle !
Maintenant, si, à chacun des nombres de la suite de Fibonacci, on fait correspondre un carré de valeur correspondante dans lequel est inscrit un quart de cercle, on obtient alors ce fameux colimaçon, cette élégante volute avec laquelle on peut jouer indéfiniment. J’y vois une expression de la croissance et de la vie, qui me sert de balise, de ligne de force pour faire chanter les couleurs.
Edouard Monot, septembre 2024
Au fil du chemin…
… peindre comme on musarde, sans idée préconçue, l’oeil ouvert, attentif à saisir l’instant; peindre en faisant des taches, en jouant avec le hasard; capter le dialogue qui se noue, dans ce médium qu’est l’eau, entre les encres et les couleurs, et sur le papier, entre l’ordre et le désordre, entre le chaos et l’équilibre.
Je chemine dans le champ des couleurs et des valeurs, à la lisière du clair et de l’obscur, de la lumière et du noir profond de l’encre.
Quand l’oeil est réceptif, couleurs et valeurs ne sont-elles pas le marteau et l’enclume où se forgent nos émotions?
Edouard Monot, 2018
Opus incertum
D’abord, il y a l’eau, la fluidité de l’eau, la diffusion de l’encre, des couleurs, dans ce milieu improbable. L’eau et le papier. L’extrême légèreté et le pouvoir absorbant des papiers de Chine ou du Japon. Tout se passe dans le dialogue entre ces deux éléments.
Le troisième terme, c’est mon regard, à l’affût d’émotions.
Capter l’insaisissable. Provoquer, en les juxtaposant sur la plaque de verre, l’affrontement de deux masses colorées, et saisir, souvent par étapes, leur rencontre, leur interpénétration, les moments successifs de leur mélange. Ca ne dure pas très longtemps. Quelques secondes… Il y a là quelque chose à saisir au vol. Puis le travail continue de se faire, beaucoup plus lentement, sur le papier, le temps du séchage. Je n’y interviens pas.
Le résultat ? Il tient la route, ou pas. Ca passe ou ça casse. Et si ça casse, qu’à cela ne tienne! Ca se déchire, en morceaux plus ou moins grands, ça peut se coller, se juxtaposer, à la manière dont les maçons assemblent les pierres aux formes incertaines. Ils appellent cela « opus incertum ». Cette incertitude me parle. C’est donc un autre travail, un travail de reconstruction, de composition, où le hasard reste certes à l’oeuvre dans l’aléa des déchirures, mais où la part du regard est plus importante. Il s’agit de mettre ensemble, de trouver des accords de tons, des rythmes, des contrastes et des correspondances, pour qu’advienne une oeuvre, un ouvrage, qui à son tour tienne debout.
Quelle en est la finalité ? Difficile de répondre à cette question. Pour moi, ce n’est en tout cas pas représenter, figurer, désigner. Je ne sais pas le faire dans ce registre. Ce que je cherche se situe plutôt dans le champs des émotions. Ca serait créer un espace qui invite à y entrer…
Edouard Monot, 2011
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Press Book
« Samedi dernier, à la galerie Ombre et Lumière de Venterol, se tenait un bien beau vernissage: celui de Edouard Monot, qui travaille merveilleusement bien la peinture acrylique et les encres. On rencontre dans son travail des collages très colorés de tissus ou papiers de Chine, et aussi des tableaux plus sombres dont il dit: « peindre en faisant des taches, en jouant avec le hasard ». (…) Une exploration qui laisse la part belle au hasard mais aussi à la recomposition. Cette exposition est résolument moderne (on pense aux collages d’autres artistes), mais aussi intemporelle, il ne faut pas la rater, elle flamboie. (…) »
in Le Dauphiné, septembre 2018
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« Edouard Monot mène de front ses activités de psychothérapeute et de plasticien, qu’il apparente, nous dit-il, dans une démarche qui consiste à atteindre un état de disponibilité à l’intuition: on ne sait pas ce qu’on fait en écoutant un patient ou en peignant, on essaie d’être à l’écoute, on saisit tout à coup quelque chose, on essaie… « Je ne me fais pas d’idées préconçues, je tâtonne dans le noir, il y a des choses qui se passent et j’essaie de les saisir. »
Sa peinture consiste en un jeu subtil mariant le hasard et l’acuité du regard. Il étend des couleurs (encres et gouaches) sur une plaque de verre, applique du papier très fin (Chine ou Japon) qui se gorge d’eau, il sèche, choisit le cadrage… « Le résultat? Il tient la route ou pas », dit-il… »
Pierre Hugli, in Ph+arts n° 93, août-septembre 2011
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» Monot crée avec subtilité un jeu de formes, de couleurs, de gestes qui rendent compte de mouvements appartenant à l’univers du rêve: une sorte de miroir de l’âme lavé de référence au monde abstrait du langage, des mots, des définitions.
« Ma peinture est non figurative, dit-il. C’est un parti pris difficile à justifier. Cela tient au sentiment que j’ai de n’avoir rien à dire dans le registre de la figuration qui n’ait été dit cent fois mieux par d’autres. Mais à y réfléchir, la distinction entre figuration et non-figuration me semble dépourvue d’intérêt. Je m’intéresse davantage à ce qui est « entre deux », à mi-chemin de ces deux pôles, ou au-delà. »
Comme certains poètes, Edouard Monot est fasciné par ce moment zéro le la perception qui se situe avant la reconnaissance. Il le dit de manière particulièrement heureuse: « Vos yeux tombent sur une photo. Pendant une fraction de seconde, vous n’en reconnaissez pas le sujet, elle n’est qu’un ensemble de taches, de couleurs, de valeurs différentes, et c’est parfois un tableau singulièrement harmonieux. »
Ainsi Edouard Monot tente de saisir la première perception, ce moment privilégié avant la réflexion. L’instantané de l’apparition du monde sensible, qu’il n’arrive plus à revivre après avoir identifié l’objet, « l’émotion de ce que je vois sans savoir ce que je vois ».
Et inlassablement, dans son oeuvre, il tente de devenir un miroir sans mots. Il pose sur le papier de l’encre, du pigment, de l’eau, et il regarde ce qui est en train de naître. Ses oeuvres ne sont autre chose que l’émotion à voir agir ces matières, que cette sensibilité qui s’émeut et le fait souffler sur une masse, la diriger ici ou là, au pinceau. (…)
Qu’on ne s’y trompe pas: il y a une imagination et une magie étranges dans ces objets dont émane une indéfinissable énergie. Edouard Monot signe des oeuvres d’une vibration, d’une harmonie et d’une étrange fluidité, qui finissent par vous fasciner , lorsqu’on prend le temps de longuement regarder. »
Pierre Hugli, in Cimaises, février 1997
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